Rendre visible mon engagement pour la libération - Partie #1

Cela fait un moment que je n'ai pas écrit. Plusieurs semaines ont été occupées par un voyage en France pour subir une intervention chirurgicale. Ensuite, il m’a fallu plusieurs semaines de plus pour écrire cet article et me sentir suffisamment confiante pour le publier.

Je me sens une certaine fragilité dans l'écriture, sur le sujet de ma libération, pour des raisons qui, je l'espère, deviendront claires au fur et à mesure que vous poursuivrez cette lecture. Pourtant, cela est au cœur de ma trajectoire de vie et je suis impatiente de voir ce qui adviendra en rendant cela plus visible.

Il me semble que parler et écrire sur ce sujet a quelque chose d’un rîte initiatique. Relier intelligemment les aspects personnels à la dimension politique est en soi un défi. Tisser ensemble les racines de la violence, l'oppression des femmes et des enfants, le racisme, la destructivité du capitalisme, le changement climatique et plus encore, tout en voulant rester ancré à “l'âme”, l'amour et le sacré, est un projet difficile.

Néanmoins... laissez-moi essayer. 

Dans le projet NGL (Nonviolent Global Liberation, Libération Globale Nonviolente) dont je fais partie, la libération est au cœur de notre objectif.

Erica Sherover-Marcuse (épouse d'Herbert Marcuse) la définit comme « la suppression des effets et l'élimination des causes de l'oppression sociale ». C'est la pierre angulaire de tout notre travail au sein du NGL : nous visons à ce que toutes notre recherche intellectuelle, les outils que nous développons et les expérimentations que nous faisons en permanence dans des domaines divers contribuent d'une manière ou d'une autre à :

« Un monde dans lequel toutes les personnes et la vie ont leur pleine valeur, et nous participons à un mouvement de générosité. Un monde où nous partageons nos talents comme les tâches banales de la vie, toutes deux se font par choix, sans contrainte. Un monde où le principe organisateur  est de répondre aux besoins de chacun ».

C'est notre vision. Elle est ambitieuse et notre nom le reflète. Quand je regarde autour de moi et ce qui se passe dans le monde, je ne trouve rien de plus porteur de sens, d’énergie et d'espoir que de me joindre avec d'autres personnes autour de ce projet.

Bien avant de rencontrer la « Communication Nonviolente », et peu de temps après une des formatrices CNV Miki Kashtan (dont est née l'expérience NGL), j'étais engagée dans des projets qui visaient à lutter contre l'oppression des femmes, la réalité de la pauvreté et du racisme, ainsi que les problèmes environnementaux. Être impliquée dans le mouvement vers la « libération » n'est donc pas nouveau pour moi, même si je n’utilisais pas ce vocabulaire à l’époque. Je suppose que c’est parce que je ne me définie pas vraiment comme “militante”. En parallèle et en y repensant, j'ai aussi longtemps été impliquée dans la recherche de ce qui me/nous rend plus pleinement humain. À partir de là, j’intégrais et mis en pratique deux facettes de la libération : l'une est la libération des conséquences de l'oppression et de la violence. L'autre implique de comprendre et de mettre en place les conditions qui permettent à notre humanité entière de s'épanouir, en communion avec les autres, y compris dans le domaine spirituel.

Je suis sur le point d'avoir 50 ans (ndt : écrit en 2020) et j'essaie pour la première fois de rendre visible mon engagement pour la libération. Considérer les événements de la vie - passés, présents et futurs - à travers ce prisme particulier est devenu particulièrement important. Cela d’autant plus qu’à mes yeux, le concept et la pratique de la « libération » sont quasiment absente de la conscience collective et individuelle. Lorsque le mot “liberation” est invoqué, il fait généralement référence à des luttes ou des mouvements politiques ou intellectuels (par exemple, Che Guevara, les zapatistes ou la « théologie de la libération »). La semaine dernière, j'ai fait une recherche sur la plate-forme sociale « Clubhouse » en utilisant des mots clés tels que « nonviolence » et « libération ». J'ai été étonnée de voir à quel point peu de “posts” sont apparus. Que se passe t-il ?

Dans cette première partie, je veux me concentrer sur le chemin qui m'y a conduit ainsi que sur la nonviolence, que je considère comme partie intégrante d’un cheminement de libération. Dans la deuxième partie, je ferai une exploration délicate de ce qui, pour moi, se trouve à la racine de la violence et de l'oppression, pourquoi il est si difficile de les nommer et de s'y engager. Je réfléchirai aussi pourquoi la « libération », en tant que concept et pratique, semble si peu visible aux yeux de ceux qui recherchent pourtant et activement des solutions à nos crises actuelles.

Commençons donc par mon cheminement personnel.

Je m'intéresse depuis longtemps à la question des racines de la violence et de l'oppression. J'ai grandi en Afrique jusqu'à l'âge de 17 ans et dans une famille où les valeurs chrétienne et une orientation vers la justice sociale, ont façonné ma vie et celle de plusieurs membres de ma famille. Mes parents eux-mêmes ont été impliqués dans les efforts de post-indépendance dans les sociétés africaines dans lesquelles nous vivions. Une forte éthique de service imprégnait mon enfance. Moi et mes frères et sœurs, par exemple, avons participé avec joie à des activités scoutes dès notre plus jeune âge, qui comprenaient une pratique de l’attention aux autres et à la nature. Mon père était le chef du mouvement scout de l'église protestante en France jusqu’à sa trentaine. Être chef scout traverse des générations dans la famille et j'ai aussi eu cette identité (et activité!) pendant un certain temps.

Même si j'étais évidemment impliquée auprès de jeunes, ces activités prenaient place au sein dans un contexte de classe sociale relativement aisée mais cette période fut tout de même très formatrice. 

Au début de l'âge adulte, mes yeux se sont rapidement tournés vers d'autres lieux géographiques et sociaux. Je me suis beaucoup intéressée au rôle et à l'impact des femmes dans le monde, en particulier dans les pays pauvres, très actives agentes de changement dans leurs communautés. Cela s'est cristallisé au moment où j'étais sur le point de devenir diplomée et je me demandais où la vie allait peut-être m’emmener. Je ne trouvais pas beaucoup d'options attrayantes pour me lancer dans le monde du travail. C'était en septembre 1995 et la « conférence mondiale de Pékin sur les femmes » avait eu lieu. J'ai lu plusieurs histoires qui m'ont profondément inspirées, révélant l'engagement des femmes contre les modèles d'oppression dans leurs sociétés. J’ai senti que je voulais consacrer ma vie à travailler avec et pour les femmes, convaincue que nous étions une clé de voute pour mettre fin à la violence et aux modèles d'inégalité enracinés. J'avais à l’époque l’ambition de travailler sur la scène internationale mais j'ai compris que je devais d'abord perfectionner mon anglais et suis donc partie en Irlande au début de 1996.

Là, et alors que je travaillais dans ce qui était alors l'un des quartiers les plus pauvres de Dublin, j'ai rencontré le travail de l'éducateur brésilien Paulo Freire, auteur de « La pédagogie des opprimés ». C'était dans le cadre d'un atelier de formation pour les personnes impliquées dans le développement communautaire, ancré dans la « pédagogie Freirienne » et intitulé « Former pour Transformer ». Bien que je ne me sois jamais intéressée à la politique de manière formelle, les mots « racines de la violence », « oppression », « conscientisation », « changement social » et “éducation populaire” ont vraiment touché une corde sensible. « Training for Transformation » (Former pour Transformer) est une pratique qui a eu une profonde influence sur ma vie du fait de son approche pédagogique Freirienne et d'autres volets de sa philosophie et ses perspectives sur la politique, l'économie, les études culturelles et la spiritualité.

Photo : Adelina Ndeto Mwau, Rebecca Macugay, Sally Timmel et les participants du premier cours diplômant Training for Transformation auquel j'ai participé en 2002, Kleinmond, Afrique du Sud

Mon parcours ne m'a finalement pas conduit à travailler dans le domaine du développement international, mais en Écosse où au début et pendant plusieurs années, je suis resté fidèle à ma vocation de travailler avec les femmes des quartiers populaires. Grâce à mon engagement avec le CHE (Center for Human Ecology ; Centre d’Ecologie Humaine) et à mon mariage à l'écrivain et militant Alastair McIntosh, j'ai commencé à lire des écrivaines écoféministes et des théologiennes féministes, tout en animant des formations ancrées dans la méthode de « Former pour Transformer ». Une chose amusante et stimulante était de donner un cours du soir sur l'écoféminisme à Édimbourg à la fin des années 1990. Je me souviens aussi avoir présenté une session sur l'éco-théologie dans le cadre d'un module sur la « théologie de la libération » auquel j'ai assisté à l'Université d'Édimbourg. Un de mes camarades a dit : « vous êtes douée pour l’enseignement ». Peut-être est-ce pour ça que l’éducation pour la libération, cette fois, est devenue ma passion.

Tout cela m'a naturellement amené à me familiariser avec le concept et l'héritage du patriarcat. Cependant et parmi mes autres intérêts dans la vie, ajouté au fait que je suis beaucoup plus une praticienne qu'une intellectuelle, il a fallu longtemps pour que la question des origines de la violence et de toutes les formes d'oppression devienne un modèle bien articulé. Il m'a également fallu un certain temps pour réaliser et comprendre comment je participe, sans le savoir, à maintenir les conditions d’oppression dans le monde , en raison de mon appartenance aux pays du nord, à ma classe sociale, à mon niveau de consommation et à certaines de mes habitudes de communication et de relation bien ancrées dans une socialisation très particulière.

Je consacrerai la partie 2 de cet article à cette exploration. Il y a pas mal de choses à éclaircir. Permettez-moi de terminer en citant quelques examples d’engagement de ces 15 dernières années environ. J'espère revenir sur certains d'entre eux dans les prochains articles.

Comme mentionné ci-dessus, un fil conducteur a été de prendre conscience de la façon dont les « causes et effets de l'oppression sociale » vivent en moi ; en d'autres termes, comment j'ai intériorisé tout ce phénomène. Mon travail intérieur sur ce sujet est en cours et j'en ferai peut-être l'objet d’un article ou deux à venir.

Une autre exemple personnel : lutter contre la douleur pendant des années m'a amené à développer des ressources intérieures et spirituelles pour accepter et vivre avec ma maladie. Cela m’a demandé beaucoup de travail et certaines habitudes acquises au cours de la socialisation mentionnée ci-dessus (comme, par example, la difficulté de demander du soutien) ont eu besoin d’être transformées.

Une autre voie, il y a de nombreuses années, m'a amené à travailler sur l'héritage du racisme en Écosse avec des partenaires des communautés noires et ethniques minoritaires (maintenant connues sous le nom de BIPOC - indigènes, noires et personnes de couleur). Je me sens appelée à faire plus dans ce domaine et j'ai en tête d'offrir à l'avenir un cours sur le privilège blanc et le racisme en Écosse.

Un dernier exemple est lié à mon travail actuel pour soutenir le « leadership collaboratif » au sein d’équipes et d’organisations - notamment des associations. Les défi-clés incluent la difficulté de parler des racines du conflit, de faire face à la faible capacité individuelle et collective à laquelle nous sommes confrontés dans tous les domaines et de questionner l'impact des structures basées sur l'autorité. Ceci malgré un élan tangible vers des modèles organisationnels plus “horizontaux”, et l'expérimentation de solutions pratiques pour aligner décisions et comportement avec buts et valeurs.

En repensant à mes 2-3 dernières décennies, il y a une force un peu mystérieuse qui se dessine. Compte tenu des innombrables autres voient qui s'offraient à moi, j’aurais pu avoir une carrière assez conventionnelle. Mais j’ai suivis mon cœur et cela a été un cheminement fascinant. Cela-dit, le travail de libération est loin d'être terminé !