Transcender mon penchant à rester isolée dans les moments de fragilité. Partie 1 : Écrire sur la fragilité: un acte périlleux?
Transcender mon penchant à rester isolée dans les moments de fragilité
Partie 1 : Écrire sur la fragilité: un acte périlleux?
J'ai mis du temps à écrire cette deuxième partie. Mon "blocage d'écriture" n'a pas magiquement disparu après la publication du premier blog. La douleur persistante que j'ai mentionnée à l'époque a également rendu l'écriture difficile. C'est ce qui a principalement préoccupé mon esprit ces derniers mois. J'ai donc remis cette partie à plus tard.
Écrire sur des problèmes de santé est une chose délicate et souvent à double tranchant. Certaines personnes sont soulagées d’apprendre qu’elles ne sont pas seule à souffrir. Elles peuvent se sentir soutenus par des inconnus, d'une manière qui leur convient, alors qu'elles ne le ressentent pas grand soutien de leurs proches. Pour d'autres, ces questions appartiennent au domaine du privé et de l'intime. Même s'ils sont aussi en souffrance, ils jugent facilement ceux qui explorent publiquement leur cheminement avec la douleur comme « recherchant la sympathie », « trop indulgents », « égocentriques » et d'autres étiquettes de ce genre.
Je m'engage donc sur ce sujet avec une certaine appréhension.
Alors que dans mon esprit ce que l’on vit dans la sphère privée a toujours un lien avec le “politique” (comme dit l’adage féministe ‘the personal is political’), le défi est de faire pleinement face à ma fragilité (comme une caractéristique essentielle de ma condition humaine), sans jamais perdre de vue ce que vit le reste de l’humanité. Ma douleur ne me définit pas. Cependant, puisque je vis avec depuis de nombreuses années et qu’elle impacte mon quotidien de façon très significative, il est parfois difficile de prendre un peu de distance et de me rappeler qu'il y a une vie au-delà de ce bien-être amoché, et que je suis un être humain avant d'être une « douloureuse ».
Ayant pris la résolution de contribuer à un monde où les êtres vivants souffriraient moins, je suis particulièrement désireuse d'explorer ce sujet à travers ma propre expérience. Voici quelques questions qui me traversent: comment mon vécu peut-il inspirer de nouvelles manières d'aborder la souffrance aux niveaux personnel et collectif ? Quels “savoir-êtres” peuvent nous aider à grandir lorsque nous avons à face à de grandes difficultés?
Je me place dans le cadre de la “libération”. Je développerai plus loin la philosophie de cette pratique. Pour le moment, je dirais que ce dont il est important de ce libérer est l'emprise de nos habitudes spontanées. Celles qui nous font réagir de manière inadaptées lorsque nous sommes frappés par un stress de quelque nature qu’il soit (maladie ou choc émotionnel). À des degrés divers et selon le contexte dans lequel on se trouve, les réactions sont bien connues : nous sommes submergés par des pensées négatives, éprouvons beaucoup d'anxiété, peinons à garder espoir, accordons une trop grande confiance aux professionnels (que ce soit dans le domaine médical ou autres), vivons beaucoup d’espoirs déchus et exprimons de fortes attentes vis-à-vis de nos proches auxquelles ils peinent à répondre. Comment pouvons-nous reconnaître ces réactions comme des habitudes nourries durant toute une vie? Et ce pourrait-il qu’au lieu de réagir, nous pourrions avoir le choix? Ce pourrait-il qu’il y ait une autre façon d’aborder la souffrance?
Une autre chose dont il est bon de se libérer c’est la croyance que comme c’est à nous que cette chose arrive, nous devons y faire face par nous-mêmes; qu’à problème individuel, réponse individuelle. Cette croyance est le produit d'une socialisation très particulière et particulièrement enracinée dans notre culture occidentale.
Ici, j’aimerai traiter de l’habitude de se recroqueviller sur soi-même lorsque l’on souffre intensément. Ce qui est particulièrement tragique c’est que l'isolement dans lequel nous nous plongeons pour tout un tas de raisons crée encore plus de stress pour notre organisme et compromet encore plus le processus de guérison.
Avant de raconter l’histoire de ce que j’ai mis en place ces dernières années pour ne pas tomber dans l’isolement, je souhaite partager deux éléments de mon contexte personnel qui montrent qu'aucune des idées que je décris dans la deuxième partie de cet article ne me sont venues spontanément.
J'ai grandi dans une culture et dans une famille où il n’est pas facile de partager les moments de fragilité, que ce soit sous forme de maladie, de bouleversement émotionnel, de difficultés relationnelles ou de deuil. Nous avons peut-être tous intériorisé une croyance qu’il faut se montrer courageux, même un peu stoïque et que tout se passera bien au bout du compte.
Autre fait intéressant : j'ai passé mon enfance à l’étranger. J'ai déménagé plusieurs fois entre 0 et 17 ans, changé 4 fois de pays et au moins autant de fois de quartiers et d’écoles. Cela a eu plusieurs impacts. Premièrement, il m’était difficile de me sentir faire partie d’une famille élargie, d’un village, d’un quartier. En lien avec cela, je n'ai pas bénéficié - comme énormément d’enfants des classes aisées - de l’expérience de grandir au sein d’une communauté diverse et relativement stable, et du coup d’apprendre à compter sur la présence d’autrui pour trouver mes marques. Je n'ai pas appris l’art de nouer des relations étroites avec des personnes diverses, être attentive à ce qui se passe autour de moi, désirer le contact même et être à l’aise au sein d’une culture où l’on partage beaucoup de soi.
Je suis sortie de l'enfance avec une habitude bien ancrée d'indépendance. Il m’a fallu de nombreuses années pour apprendre à être transparente dans ce que je vis, joviale et détendue lors de rencontres au quotidien, de tendre la main dans les moments difficiles et de me sentir appartenir à une communauté tant dans le quartier et la ville où j’habite, que de façon plus élargie en relation avec mon engagement pour la nonviolence. Ce travail de me libérer d’habitudes de retrait est loin d’être terminé mais je peux dire que ma vie est à présent beaucoup plus ancrée dans un réseau de relations interdépendantes qu’elle ne l’a jamais été.
J'espère qu'il est maintenant clair qu’il a fallu beaucoup de chemin et pas mal de détermination pour surmonter l’isolement. Cela souvent été dur, il y a eu pendant des années un sentiment récurrent de solitude. Dans ce moment, je faits une pause et prends une profonde inspiration.
Une dernière réflexion : mon éducation et la famille dont je suis issue m'ont donné certaines resources et qualités auxquelles tout le monde n'a pas accès. Là est mon privilège. Du fait d’un mode de vie simple et la capacité de générer un revenu assez facilement, je n’ai pas eu besoin de travailler à plein temps ces 2-3 dernières années. J’ai donc pu me concentrer à trouver des solutions à mes douleurs. Cela a été une chance inouïe car a permis de diminuer de beaucoup le facteur stress. J’ai aussi une certaine détermination et confiance en moi qui m’ont beaucoup aidé dans ce cheminement difficiles.
Les pratiques et stratégies que j'ai mises en place pour trouver le soutien dont j’avais besoin sont en principe accessibles à tous (voir la deuxième partie). Je suis pourtant bien consciente que beaucoup dans des situations similaires auraient beaucoup de mal à se mobiliser comme je l’ai fait. J’essaie de raconter mon expérience avec humilité.